(c) 1997 -- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français -- Éditions de l'Atelier.
DUTILLEUL Mounette, Andrée
Née le 1er mars 1910 à
Paris XVIIIe arr., fille d'Émile Dutilleul (voir ce
nom) ; sténo-dactylographe. Militante communiste,
permanente de la Commission des cadres, Mounette Dutilleul a
joué un rôle de premier plan dans la réorganisation
du Parti communiste clandestin de septembre 1939 à son
arrestation en mai 1941. Membre du Comité central de 1945
à 1950.
Née sur la Butte Montmartre, Mounette Dutilleul était la
fille aînée du militant libertaire puis communiste
Émile Dutilleul. Celui-ci, originaire du Nord (Douaisis), vint
à Paris en 1905 et fréquenta alors les milieux
anarchistes individualistes et, parfois, illégalistes. Il avait
épousé à Douai, en 1908, la fille de
Sébastien Broutchoux (frère de Benoît) (voir ce
nom). Mounette vécut ses toutes premières années
entourée de militants anarchistes et, selon son
témoignage, Callemin dit Raymond la Science voir ce nom) la
conduisait à l'occasion au square Saint-Pierre et lui donnait le
biberon. Son père ayant rompu avec ces milieux vers 1911 lorsque
se constitua la « bande à Bonnot »,
Mounette ne fut, en aucune façon, influencée par eux.
Elle vécut les années de la guerre à Paris, jouant
avec les enfants du quartier, suivit les cours de la Communale et,
bonne élève, obtint le Certificat d'études
primaires avec la mention « Très bien »
puis fut admise première au concours d'entrée à
l'EPS Edgard Quinet. Son père veillait à son
éducation artistique : elle apprit le violon, la danse
classique, chanta dans la chorale populaire d'Albert Doyen au
Trocadéro, fréquenta les théâtres et les
musées. À l'âge de quinze ans, Mounette fut
reçue au Brevet d'enseignement primaire supérieur (BEPS).
Elle fit une année de préparation à
l'entrée à l'Ecole normale d'instituteurs et passa la
1ère partie du Brevet supérieur. Mais, depuis 1924,
Émile Dutilleul se consacrait à plein temps à ses
fonctions de secrétaire général du Secours ouvrier
international (SOI) et à ses activités communistes. Les
revenus de la famille ayant baissé, elle dut abandonner ses
études pour permettre à sa soeur d'en entreprendre
à son tour. Profondément marquée par cet abandon
forcé, elle renonça à regret à son ambition
de devenir professeur d'histoire.
Devenue sténo-dactylo, Mounette Dutilleul commença
à travailler en septembre 1927 à la Banque
ouvrière et paysanne (600 F par mois) jusque
février-mars 1928 et se syndiqua alors au syndicat unitaire des
employés de banque. De mars 1928 à avril 1929, elle fut
employée chez Schloss, commission-exportation pour
l'Amérique comme sténo-dactylo français-anglais,
puis d'avril à août 1929 à la Royal Bank of Canada
(1 150 à 1 500 F par mois). Elle fit sa
première demande d'adhésion au Parti communiste cette
année là, mais elle ne sera effective qu'en 1931.
Elle épousa en août 1929 Aloys Bayer, un
électricien allemand, fils d'Otto Bayer, greffier
retraité à Cologne et de Catherine Drolshagen, tous deux
très catholiques (ce qui les opposera plus tard au régime
hitlérien, disait-elle dans son autobiographie du 15
décembre 1937). Adhérent du PC allemand depuis 1927,
responsable du SOI en 1930, Bayer représenta cette organisation
à Moscou. Plus tard, en 1937, il travaillera dans l'appareil de
diffusion de la littérature illégale destinée
à la zone franquiste et se rendra en Espagne. Mounette Dutilleul
eut une fille, Hélène, le 3 septembre 1936. Son mari fut,
avec son père, à l'origine, par des discussions, de sa
culture politique. Elle cessa de travailler après son mariage et
suivit des cours d'anglais, de français et d'histoire. Ils
partirent tous deux au printemps 1930 à Berlin puis, en
août, se rendirent à Moscou où jusque mars 1931
elle travailla comme dactylo française au Komintern, faisant des
traductions d'anglais. Elle fut candidate aux Komsomols,
parrainée par Raymond Guyot et participa à deux ou trois
cours à l'école léniniste et à cinq ou six
d'économie politique à l'hôtel Lux.
Revenue en France à la fin mars 1931, elle adhéra
officiellement au PC et milita dans une cellule du 18 arrt. Plus tard,
affectée à la cellule du quai de Valmy dans le 10e, elle
en devint secrétaire et membre du Comité de section. En
1931-32, elle participa au mouvement des chômeurs du 18e avec
Montjauvis et Henri Raynaud(voir ces noms), surtout à la fin
septembre 1931 lorsque, après un travail à mi-temps
à la Fédération des métaux, elle fut sans
travail.
Le séjour de son mari étant menacé, celui-ci
quitta la France (sur le conseil de Duisabou (voir ce nom) et elle le
rejoignit au printemps 1932 à Berlin. Disponible, car ayant
conservé sa nationalité, elle était en possession
d'un passeport français, elle effectua deux voyages en France,
envoyée pour l'un par Munzenberg afin d'y lancer une campagne
pour la libération d'un militant chinois (Huan Ping !).
Adhérente au KPD, elle ne pouvait guère militer en
Allemagne, cependant elle participa aux grèves du métro
de Berlin en 1932 et à des manifestations de femmes contre la
vie chère. Elle gagnait sa vie en faisant des traductions soit
pour des personnes privées, soit pour la presse
communiste : pour Imprekorr (avec
« Julius »), pour la Correspondance syndicale
internationale (avec Calzan). Elle tint un cours de français
à l'Université ouvrière de Berlin. Elle
correspondait par ailleurs avec L'Ouvrière.
L'arrivée au pouvoir d'Hitler l'obligea à quitter
l'Allemagne précipitamment, Dimitrov qui s'occupait de la Ligue
contre l'Impérialisme lui demandant de mettre des papiers
à l'abri. Fin mars 1933, elle était de retour à
Paris. Elle suivit une école de cellule animée par Pierre
Villon(voir ce nom) D'avril à juin, elle était
secrétaire au journal Regards et en juillet-août au CDLP
(avec Bensan). Elle participa certes aux journées des 9-12
février 1934 mais son activité publique de parti fut
ralentie par son travail de liaison avec les illégaux qui fut
prédominant d'août 1933 à août 1935. Elle
travailla d'abord à la Correspondance syndicale internationale
où elle devait remplacer Calzan. Elle assurait un travail de
dactylo, de traductions (anglais, allemand, à la rigueur
espagnol et italien), de mise en pages, de correction et même de
réécriture d'articles rédigés en mauvais
français. Elle était en liaison avec des responsables
étrangers, en particulier Polonais, tels que Romer (ou
René) de l'ISR, Mareck (pseudos : Jules ou Leblanc, en fait
Michel Feintuch), Henri ou Harry commissaire politique en Espagne.
Elle avait été priée de « ne pas
militer ouvertement » dans le PC. D'août 1935 à
août 1936, elle fut secrétaire de G. Monmousseau alors
secrétaire du bureau européen de l'ISR (bureau qui sera
liquidé en été 1936). Elle accoucha le 3 septembre
et fut placée le 15 octobre chez Bunuel, organisme de propagande
par le film pour l'Espagne.
L'autobiographie du 15 décembre 1937 permet de connaître
l'étendue des lectures théoriques de Mounette Dutilleul
car, outre les traditionnels textes de Marx, Engels, Lenine et Staline,
elle mentionne trois fois Boukharine dont « Le
Matérialisme historique » a été
sérieusement étudié et les « Principes
d'économie politique » de Lapidus. Elle lisait,
chaque jour, l'Humanité, le Populaire, l'oeuvre et, en plus des
revues théoriques du parti, la revue austro-marxiste
« Der Kampf » d'Otto Bauer. Mais elle a toujours
tenu à mentionner, en réponse à la question
rituelle sur le nom des parents ou corps étrangers au
parti : son oncle Benoit Broutchoux, son cousin doriotiste Pierre
Dutilleul et, après la guerre, André Seigneur (mari de la
soeur Lily ? ). Egalement, en septembre 1949, relevons cette remarque
sur les opinions de sa mère : « n'agirait pas
contre le parti, tout au moins consciemment » (?).
En 1937, elle entra à la Commission des cadres où,
secrétaire de Maurice Tréand, elle travailla avec Arthur
Dallidet(voir ces noms) auquel elle se lia. Legros (Tréand)
portait sur elle un jugement très favorable montrant
l'étendue de ses capacités :
« très dévouée, sûre,
attachée au parti, très attachée au travail des
cadres qui a été une révélation pour
elle ». Tâche énorme puisqu'elle recevait tout
le courrier, l'enregistrait, le répartissait dans les
différents services, expédiait chaque jour les affaires
courantes, recevant les coups de téléphone et prenant
tous les rendez-vous, écrivait les projets de lettres et tenait
toutes les archives centrales des cadres (mais, précisait
Tréand), « excepté les affaires
délicate ou secrète qui sont enfermés dans un
grand cofre-ford dont seul je posséde les clef »
(l'orthographe est respectée). Selon Tréand, Mounette
Dutilleul lui aurait alors indiqué que, mariée à
un allemand, le parti pourrait peut-être n'avoir pas toute
confiance en elle à cause de ce mariage et qu'elle le quitterait
« amicalement à son retour car elle
préférait travailler toute entière pour le
parti ».
Elle procéda alors à la mise en place des
« planques » pour militants et joua un rôle
important auprès des Partis communistes illégaux dans
leur pays et dont les directions extérieurs se trouvaient
à Paris.
Lors des menaces de guerre, en septembre 1938 particulièrement,
elle déploya une intense activité et participa au
déménagement et à la mise en lieu sûr des
archives biographiques du Parti. Fin septembre, elle accomplit de
nombreuses missions et, début octobre (dans la nuit du 1er au
2 octobre), elle convoya Thorez jusqu'à la frontière
belge. Elle fut par la suite un des agents de liaison entre le Centre
parisien et Bruxelles. Durant la drôle de guerre, elle se rendit
illégalement à Moscou où elle rencontra des
militants français et Dimitrov. De retour à Paris, elle
fut mêlée -- et elle en reste le seul témoin vivant
-- aux tentatives de contact entre le ministre De Monzie et les
dirigeants du PCF. C'est elle qui transmit l'information à
Frachon. Celui-ci rédigea alors avec Politzer et Arthur Dallidet
la lettre dite du 6 juin dans laquelle étaient
indiquées les propositions du PCF en cas de menace contre Paris
(voir Denis Peschanski), « L'été 40 du Parti
communiste français », L'Histoire, n° 60,
octobre 1983).
Mounette Dutilleul quitta Paris lors de l'arrivée des Allemands
et participa, fin juin 1940, dans la banlieue de Limoges à une
réunion avec Cadras, A. Dallidet, B. Frachon et Victor
Michaut(voir ces noms) puis regagna la capitale début
août. À partir de novembre, elle aida à la
réorganisation du Parti en groupes de trois. Adjointe de B.
Frachon et d'A. Dallidet, elle témoigne de l'opposition de ces
responsables à la politique légaliste suivie, entre
autres capitales de l'Europe occupée, à Paris durant
l'été 1940 par le Parti communiste (démarches pour
la reparution légale de l'Humanité, réoccupation
des mairies dans la région parisienne). Agent de liaison de la
direction puis de Frachon en particulier, elle fut en contact avec la
plupart des responsables communistes présents dans la
région parisienne, notamment Jean Catelas et Gabriel
Péri( ces noms).
Arrêtée le 15 mai 1941, Mounette Dutilleul fut
confrontée le 18 avec Catelas puis avec Péri au
commissariat d'Asnières. Ni elle, ni les autres inculpés
n'ayant livré sa véritable identité, elle fut
condamnée sous le nom de Jeanne Dessart à quatre ans
d'emprisonnement, lors du procès Catelas devant la Section
spéciale. Elle séjourna dans les prisons de la Petite
Roquette, de Fresnes et de Rennes. La police l'identifia moins d'un an
plus tard, sans doute en mars 1942 (rapports de la police de
Vichy, Arch. Tasca, fondation Feltrinelli, communiqué par D.
Peschanski). Elle fut, l'année suivante, déportée
à Ravensbrück.
De retour des camps, Mounette Dutilleul participa au congrès du
PC tenu à Paris du 26 au 30 juin 1945 et fut élue
suppléante du Comité central et membre de la Commission
centrale de Contrôle politique qui comptait six membres. Elle fut
réélue au CC à l'issue du congrès de
Strasbourg, 25-28 juin 1947. En juin 1948, encore marquée
par les épreuves de la déportation, elle refusa, en
dépit de la demande de son oncle Léonard,
d'intercéder auprès du ministère de la Justice en
faveur de Pierre Dutilleul, son cousin, doriotiste condamné
à la peine de mort, peine commuée par la suite en cinq
années de travaux forcés. Cette même année
1948, au Comité central tenu en juillet, elle ne s'associa pas
à la condamnation de Tito par le PCF à la suite du
Kominform. Pour cette raison, elle ne fut pas réélue en
avril 1950, membre du Comité central.
Après 1945, elle fut au secrétariat de la
Fédération internationale des femmes et à l'Union
des Femmes françaises membre du Comité local du 15e
arrondissement.
Par la suite, Mounette Dutilleul fut journaliste à la Vie
ouvrière. Jusqu'à la mort de Benoît Frachon en
août 1975, elle demeura très proche de lui. Selon
l'Humanité du 14 mars 1980, elle se prononça pour le
soutien à Georges Marchais.
Elle épousa, peu après la Seconde Guerre mondiale,
l'architecte Jean Nicolas qui mourut fin juillet-août 1980.
SOURCES : Jacques Duclos, Mémoires, tome 3, première
partie, pp. 138-141. -- Francis Crémieux et Jacques
Estager, Sur le Parti 1939-1940, Paris, Temps actuels, 1983. --
Guillaume Bourgeois, Communistes et anticommunistes pendant la
drôle de guerre, thèse de 3e cycle, Paris X Nanterre,
1983. -- Denis Peschanski, « La demande de parution
légale de l'Humanité (17 juin
1940-27 août 1940) », Le Mouvement social,
n° 113, octobre-décembre 1980. -- Denis Peschanski,
« L'été 40 du Parti communiste
français », L'Histoire, n° 60, octobre 1983.
-- Entretiens de Jean Maitron avec Mounette Dutilleul et
correspondance. - Archives Komintern, CRCEDHC, Moscou 495 270 54. -
Deux questionnaires pour le CE de l'IC, les 13 août et 29
septembre 1930. - Autobiographie du 15 décembre 1937 ; note
de Tréand (1938 ?) ; questionnaire biographique du 23
septembre 1949 (consulté par Claude Pennetier, reporté
par René Lemarquis).
ICONOGRAPHIE : A. Guérin, La Résistance, tome 2, p. 164.
J. Maitron et Cl. Pennetier
4e période (1914-1939)OUVRIER069769
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